La liberté d’association en Algérie est toujours régie par la loi 90-31, telle qu’entrée en vigueur en 1990 et jamais amendée. Au sommet de la hiérarchie des normes nationales, la Constitution de 1996 garantit à tout citoyen les libertés d’expression, d’association et de réunion. Sur le plan des conventions internationales ratifiées par l’Algérie, l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) assure la liberté de s’associer librement.
Etat des lieux
Parmi plusieurs associations enregistrées, une bonne partie d’entre elles n’exerce pas d’activités concrètes sur le terrain et que 95% ne se conforment pas aux exigences de rapports annuels prévues par l’article 18 de la Loi sur les associations. Cette loi impose aux associations de fournir à l’autorité publique tout renseignement relatif à l’origine de leurs fonds. Et cette situation vient confirmer ce que maintes analystes ont déjà identifié à savoir :
- l’indifférence des pouvoirs publics à l’égard de la vie associative et l’absence d’une politique globale en la matière,
- la carence de subventions et de moyens,
- l’absence d’espace d’interaction entre les pouvoirs publics et les acteurs associatifs à même de permettre le développement,
- le dynamisme et l’efficacité de la société civile. Parallèlement, les membres de la société civile sont constamment empêchés de s’organiser et d’accéder à l’espace public. En effet, les interdictions de se réunir et de manifester, les actes de tracasseries administratif et judiciaire des défenseurs et des libertés fondamentales frappent essentiellement les organisations visant à structurer un mouvement ou à rassembler autour de thématiques sensibles telles que :
- la politique de réconciliation nationale,
- les disparitions forcées ou les victimes du terrorisme,
- la lutte pour un multipartisme effectif ou la promotion du dynamisme de la société civile. En septembre 2008, la Fondation Friedrich Ebert, présente en Algérie depuis 2002, a annoncé qu’elle devait geler ses activités en Algérie.
Entraves à la liberté d’expression, d’association et de réunion
Les forces de sécurité ont fait usage à plusieurs reprises d’une force abusive pour disperser des manifestants rassemblés pacifiquement à Alger ou dans d’autres villes.
Elles ont ainsi utilisé des balles en caoutchouc, du gaz lacrymogène, des canons à eau et des matraques. Plusieurs manifestants à ces répressions ont succombé à l’hôpital. Ils ont été frappés par des policiers à coups de matraque une semaine plus tôt, alors qu’ils rentraient chez eux après des manifestations. Les responsables de la sécurité ont régulièrement restreint l’accès à la capitale le jour de la répression, en installant spécialement des points de contrôle de la gendarmerie et de la police et en menaçant d’immobiliser les véhicules, notamment les bus pénétrant dans la ville et d’imposer des amendes aux conducteurs.
Des policiers et des gendarmes, bien souvent en civil, ont arrêté arbitrairement des centaines de personnes qui manifestaient pacifiquement, et dans de nombreux cas ont confisqué leur téléphone afin d’empêcher la diffusion d’informations sur les événements. À partir du mois de juin, plus de 100 manifestants et manifestantes ont été renvoyés devant les tribunaux pour répondre de charges liées à l’expression, pourtant pacifique, de points de vue sur le Hirak ou d’opinions exprimées pendant des manifestations. Des dizaines d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison.
Le ministère public a inculpé des manifestants et manifestantes pacifiques d’atteinte à l’intégrité du territoire national pour la seule raison qu’ils détenaient ou avaient brandi un drapeau amazigh lors d’une manifestation. Les tribunaux ont condamné plusieurs de ces personnes à des peines allant jusqu’à 18 mois de prison.
Les pouvoirs publics ont maintenu dans un vide juridique de nombreuses associations en n'accusant pas réception de leurs demandes d’enregistrement déposées en application de la Loi relative aux associations.
Des églises chrétiennes situées dans plusieurs localités ont été fermées sur ordre des autorités locales pour non-respect d’une ordonnance de 2006 sur les cultes autres que musulmans et non-conformité aux normes de sécurité.
De même, la police a effectué en octobre une descente contre la plus grande église protestante du pays, l’église du Plein Évangile de la ville kabyle de Tizi Ouzou. Les policiers ont pénétré dans l’église, brutalisé des fidèles et expulsé des lieux une quinzaine de personnes. L’église a ensuite été fermée. Le lendemain, la police a posé des scellés sur deux autres églises de la wilaya (préfecture) de Tizi Ouzou. Le 17 octobre, la police a interpellé des dizaines de personnes qui manifestaient contre les mesures de répression. Elles ont été libérées peu après.
Des organisations internationales ont fait état de l’affaiblissement de la situation des libertés d’association et de rassemblement. Face à ce constat, une réaction publique est demandé en ce qui concerne la dégradation de la situation des droits humains et d’appeler les autorités algériennes à cesser immédiatement les entraves à l’exercice des libertés de réunion pacifique, d’association et d’expression.
Quelques avancées
Très attendue, la première Conférence nationale des dynamiques de la société civile réunie samedi 15 juin à Alger est parvenue à un texte commun. Ces collectifs, associations et syndicats autonomes algériens d’idéologies très différentes ont adopté un cadrage pour une sortie de crise et une transition démocratique.
Le document s’accorde sur la nécessité d’une période de transition allant de six mois à un an et l’installation d’une commission indépendante pour diriger, organiser et déclarer les résultats des élections. L’objectif était d’aller vers une nouvelle République.
Recommandations Au regard de la situation politique et du cadre général démocratique et des droits de l’Homme - mettre un terme à la loi sur l’état d’urgence, maintenu illégalement depuis 17 ans et qui entrave les libertés publiques. - agir en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’avec tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par l’Algérie, et intégrer les dispositions de ces traités dans la législation nationale. - mettre en œuvre les recommandations du Conseil des Droits de l’Homme et du Comité contre la torture des Nations Unies en matière de protection des libertés publiques. - assurer la séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires et garantir l’indépendance du système judiciaire, pierre angulaire du respect des droits de l’Homme. - veiller à ce que la réforme de la loi 90-31 de 1990 s’effectue dans un sens plus favorable aux libertés de constitution et d’action des associations.
Au regard de la législation et de la pratique relatives aux associations Constitution et enregistrement : - maintenir le système déclaratif d’enregistrement. - remettre systématiquement et immédiatement un récépissé de dépôt des statuts de l’association et délivrer le récépissé d’enregistrement dans le délai maximum légal de 60 jours - garantir un recours effectif et dans des délais raisonnables aux associations qui se sont vues refuser l’enregistrement de la part de l’autorité administrative. - supprimer la peine d’emprisonnement pour les dirigeants d’associations non approuvées, suspendues ou dissoutes qui poursuivent leurs activités (art. 45), cette mesure étant contraire à l’esprit du système déclaratif. Organisation et action : - cesser toute entrave à la liberté de manifester publiquement et abroger toute législation interdisant de manifester sur la voie publique. - favoriser les espaces d’expression en cessant toute entrave à la liberté de tenir des rencontres publiques, séminaires et formations dont l’objet et le but n’ont pas un caractère illégal. - abolir l’article 28-2 de la Loi 90-31 de 1990 qui soumet l’obtention de subventions étrangères à l’accord préalable de l’autorité publique compétente. - modifier les articles 144 à 148 du Code pénal qui traitent du délit de diffamation, de même que l’article 46 de la loi 06-01 du 27 février 2006 qui érige en infraction tout écrit ou déclaration qui dénonce les actes criminels perpétrés par les agents de l’État au cours des années 90. Environnement requis pour le développement durable de la société civile - mettre en place des politiques publiques encourageant le dynamisme et l’efficacité de la société civile, favorisant la participation des femmes dans la vie sociale et politique en conformité avec les recommandations du Plan d’Action d’Istanbul de 2006 et permettant le dialogue entre les autorités publiques et les acteurs associatifs. - impliquer la société civile dans les prises de décision concernant les politiques d’intérêt public, en particulier en cas de révision de la loi 90-31 sur les associations.
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